Benoît Denis
, Littérature et engagement
Présentation
L’engagement en littérature = phénomène relativement circonscrit. C’est une pratique littéraire associée
étroitement à la politique, aux débats qu’elle génère et aux combats qu’elle implique ; phénomène développé
de part et d’autre de la Seconde Guerre, souvent associé à l’essor du communisme, avec J. P. Sartre en figure
de proue.
MAIS on constate pourtant que la notion d’engagement a subi une usure importante, même si on ne renonce
pas à vouloir déterminer la portée d’une œuvre, ses enjeux idéologiques et intellectuels, ou son importance
pour la société présente…à ce titre tout œuvre littéraire est à quelque degré engagée (propose une certaine
vision du monde, donne forme et sens au réel) dans ce cas la notion d’engagement se dissout, puisqu’il est
partout et nulle part.
De plus, le pouvoir s’est toujours soucié des écrivains et de leurs œuvres (ex : Platon dans la République).
Cet ouvrage réserve l’expression de « littérature engagée » au XXe siècle : c’est en effet durant cette période
que s’est développée et formulée précisément, qu’elle a pris cette appellation et qu’elle est devenue l’un des
axes majeurs du débat littéraire. En outre, la notion d’engagement apparaît et se développe au moment où,
précisément, l’engagement en littérature cesse d’aller de soi ; la littérature, telle que la modernité la conçoit,
n’est pas naturellement « branchée » sur le politique.
L’engagement implique une réflexion de l’écrivain sur les rapports qu’entretient la littérature avec la politique
(et avec la société en général) ex : tous les genres n’ont pas semblé également propices à l’engagement (la
poésie pour Hugo et Péguy, le roman à thèse barrésien, l’essai dont on a pu contester le statut littéraire…).
Importance centrale de la réflexion de J.P. Sartre dans cet ouvrage Qu’est ce que la littérature ? : démarche
profondément imprégnée et orientée par l’expérience de ses prédécesseurs, et son radicalisme a suscité des
critiques et des réévaluations décisives pour notre appréhension actuelle du phénomène.
Première partie : Qu’est-ce que la littérature engagée ?
Chapitre I : L’inscription historique de la littérature engagée
Deux acceptions de l’engagement, qui sont dans l’usage rarement distinguées :
Considérer la littérature engagée comme un phénomène historiquement situé, associée généralement à la
figure de Sartre et désireuse de participer à l’édification du monde nouveau annoncé dès la Révolution
russe de 1917 COURANT (entre 1945 et 1955)
• Lecture plus large et floue de l’engagement accueillant sous sa bannière une série d’écrivains (Voltaire,
Zola, Camus…) POSSIBLE LITTERAIRE TRANSHISTORIQUE
Mais pour le critique, la problématique de l’engagement dépasse de loin le seul courant incarné par Sartre et
l’équipe des Temps modernes : c’est l’hypothèse de Barthes, qui pense une alternance de l’art pur et de l’art
social. Mais ce balancement mécanique entre art pur et art social n’est-il pas trop réducteur, simpliste ? Pour
Benoît Denis il s’agit de remonter dans le temps et d’examiner la façon dont des hommes de lettres ont voulu
développer une conception et une pratique « engagées » de l’écriture, en des temps où la notion d’engagement
n’existait pas comme telle. En effet, elle apparaît au XXe siècle, selon trois facteurs :
1) L’apparition, aux alentours de 1850, d’un champ littéraire autonome, indépendant dans son principe et
dans son fonctionnement de la société générale et des instances de pouvoir qui la régissent pour les
écrivains, série de postures et d’attitudes destinées à les distinguer du commun des hommes et à les
regrouper au sein d’une aristocratie symbolique : « règles du jeu » littéraires spécifiques, focalisation
sur le travail de la forme… Cette position de retrait peut s’assimiler à celle de l’art-pour-l’art de Barthes.
2) L’apparition, à la charnière des XIXe et XXe siècles (affaire Dreyfus), du nouveau rôle social de
l’intellectuel. S’opère une redistribution des rôles, au terme de laquelle la littérature voit
paradoxalement son prestige renforcé. MAIS dès que la fonction intellectuelle s’autonomise par rapport
à la littérature à travers la figure de l’« écrivant ». Dès lors, il s’agit pour l’écrivain de savoir comment la
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