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Histoire-Géo-Géopolitique
M. DURAND
Lycée du Parc – ECS – 921* – 2021/2022
L’Amérique Latine
L’Amérique Latine ou les défis de l’émergence
L’Amérique Latine connaît une bonne croissance, l’émergence d’une classe moyenne, une sortie de la pauvreté, mais elle
fait face à encore beaucoup de défis. Elle a connu plusieurs “émergences” annoncées qui ont à chaque fois été de grandes
déceptions. Ainsi pour D e G aulle, « le B résil est un pays d’avenir et il le restera longt em ps ». Depuis les
années 2000, les discours sont assez positifs, au vu des succès économiques, de la bonne résistance à la crise de 2008, des
résultats chiffrables en matière de la réduction de la pauvreté, et de l’affirmation du Brésil sur la scène internationale.
Ainsi « L’Amérique latine est [serait] bien partie », selon G eorges C ouffignal. Il souligne “la stabilité politique (le
continent qui compte aujourd’hui le plus grand nombre de gouvernements représentatifs et de dirigeants élus dans un
cadre pluraliste), les avancées économiques et sociales (5% de croissance en moyenne entre 2003 et 2009 ; pauvreté
extrême passée de 34% en 1984 à 11% en 2014), et la capacité de résistance aux chocs externes (conjoncturelle mais non
moins significative) de la “nouvelle Amérique latine”.
Mais étant donné la diversité, l’immensité de l’espace, ce continent ne peut qu’être divers dans son émergence. De
nombreux problèmes demeurent comme la reprim arisation des économ ies , et le poids croissant des exportations de
matières premières. Dans le cadre de la mondialisation, l’Amérique latine n’est-elle pas devenue Le continent oublié,
comme l’écrit M ichael R eid ? C ouffignal ajoute « qu’avec la fin de la Guerre froide et le rétablissement de la paix
en Amérique centrale, l’Amérique latine a été en quelque sorte rétrogradée dans l’échelle des priorités internationales des
‘grandes puissances’. Il n’est pas interdit de penser, en effet, qu’une région démocratique, pacifique, dénucléarisée et
largement désarmée intéresse moins et a moins de moyens d’influence qu’une région ou des États qui présentent des
caractéristiques diamétralement opposées ».
I. H istoire longue et structures d’un sous -continent ou les fondem ents
d’un m al-développem ent.
A . U ne histoire fait de violences et de dom inations.
De grandes civilisations ont existé avant la rupture de la colonisation européenne. Le Mexique (Olmèques, Mayas,
Aztèques) et les Andes (avec les Incas au XIIème siècle dans le bassin de Cuzco) sont les deux grands foyers de population.
Ces empires ont laissé en héritage socio-économique une structure sociale hiérarchisée, pyramidale, quand la conception
inaliénable de la terre a disparu.
Le XVIème siècle est celui des grandes conquistas, lancées par la découverte du « Nouveau Monde » par C hristophe
C olom b en 1492. C’est l’avènement de cet Empire Ottoman qui prend en otage les routes terrestres de la soie qui va
pousser les Européens à la découverte de routes maritimes alternatives, et qui sera au début de leur domination
hégémonique sur le monde. L’Espagne et le Portugal deviennent les deux grandes puissances conquérantes et concurrentes
et décident de se partager ce « Nouveau Monde » selon le traité de Tordesillas (1494) : à l’est du méridien du Cap Vert,
les territoires découverts reviennent au Portugal, à l’ouest, à la couronne espagnole. Alors que les Espagnols vont pénétrer
,dans les empires pour les battre en brèche et véritablement coloniser l’espace, les Portugais vont se maintenir, dans
l’espace indo-asiatique, dans une logique de comptoirs commerciaux. Ils vont ensuite par hasard découvrir le Brésil qui,
bien qu’il soit situé à l’Ouest de l’Atlantique, figure bien à l’Est du méridien décidé à Tordesillas.
Ainsi, pour des raisons à la fois économiques et religieuses, le continent subit les conquêtes de H ernan C ortés au
Mexique (1519-23) et de Francisco Pizarro pour l’empire Inca (1531-32), qui s’appuient certes sur la puissance militaire
mais aussi sur les croyances religieuses et des alliances avec les anciennes tribus dominantes. La conquête du Brésil est
plus lente (comptoirs commerciaux, fronts pionniers).
Les conquêtes sont un désastre humanitaire. Massacres, introduction d’agents pathogènes inconnus décimant les
populations, travail forcé dans les mines : elles conduisent à la disparition de 25 millions de personnes. Ayant besoin de
main d’oeuvre, les Européens commencent la traite négrière (100 000 esclaves/an au XVIIème siècle).
L’A m érique latine reste m arquée par les héritages du systèm e colonial ibérique et d e la prem ière
m ondialisation. L’économie est structurellement tournée vers l’extraversion, avec le maintien des routes commerciales :
la domination économique et financière européenne persiste au travers de l’investissement de la Grande Bretagne sur
l’espace. Dès 1890, les Etats-Unis prennent le relais. La doctrine M onroe de 1820 proclam e le m onopole des
Etats-U nis sur les A m ériques et affirm e un devoir de protection du continent contre la dom ination
européenne. Mais la protection dérive très vite en domination avec l’idéologie de Theodore Roosevelt de la Big Stick
Policy : visant à faire assumer aux États-Unis une place de véritable police internationale.
Dès lors la vision impérialiste américaine s’impose : projet d’union douanière à la fin XIXème siècle, contrôle de 3/4 des
mines mexicaines au début du XXème siècle, construction du canal de Panama, et la compagnie U nited Fruit au coeur
de républiques bananières.
La domination s’affirme encore plus après 1945. Les économies latino-américaines se fondent de plus en plus sur les
exportations agricoles, sur le mode de l’extraversion, par le biais des institutions internationales (PAS du FMI) et de la
“dollarisation” des économies : en 2001, le dollar est devenu la m onnaie nationale au G uatem ala et au
Salvador. Cela permet de garantir la stabilité et de juguler l’inflation, mais les Etat n’ont plus le pouvoir régulateur de
la devise.
B . P auvreté, inégalités, violences : les stigm atisations d’une histoire difficile.
1. H étérogénéité du d éveloppem ent et pau vreté.
L’émergence de classes moyennes et le recul de la pauvreté ne cache pas les disparités. Avec 164 millions de pauvres,
soit 28% de la population (contre 48% en 1990), le recul est net. Mais l’Amérique latine ayant connu une explosion
démographique à la fin du XXème siècle (population +56% entre 1985 et 2015), il faut différencier les pays qui ont
achevé leur transition démographique (Argentine, Cuba, Costa Rica, Chili) de ceux qui ont encore un taux de natalité
élevé (Equateur, Bolivie, Guatemala > 3,5 enfants par femme), et qui par conséquent ont plus de difficultés économiques.
Les 1980-90’s ont été un choc économique. La crise de la dette et l’effondrement généralisé des économies (PAS) se
sont traduits pas la réduction des emplois publics et la montée du tertiaire informel, ainsi que par des problèmes sociaux
(absence de couverture sociale).
Si la pauvreté a diminué, elle n’a pas disparu et l’A m érique latin e reste le continen t des inégalités . C’est ce
qu’affirme R icardo Lagos, président du Chili (2000-06) : « L’A m érique latine n’est pas le continent le plus
pauvre, m ais peut-être bien le plus injuste ». En Bolivie 40% des revenus sont entre les mains des 10% les plus
riches. C’est sensible à la vue du coefficient de Gini de différents pays : Bolivie, Guatemala et Costa Rica à 0,48, le
Brésil, le Panama et le Honduras à 0,51, Haïti à 0,61, alors même qu’il a souvent baissé au cours des 25 dernières années.
Les économies ont connu une amélioration générale avec les politiques sociales étatiques dans les années 2000. L’ID H
de l’A m érique latine est en progression , passant de 0,74 (0,680 en 2000). Toutefois la moyenne générale du
continent cache des disparités : bon niveau pour le Chili et l’Argentine (≈ 40ème place, à 0,80) ; moyen pour l’Uruguay,
le Brésil et le Mexique ; faible pour la Bolivie, le Paraguay, le Guatemala (0,55), Haïti (PMA avec une IDH de 0,406).
Concernant les inégalités, on distingue 3 Amériques latines :
, La moins inégalitaire bénéficie d’une forte population blanche urbanisée et éduquée : Argentine, Uruguay.
Chili, Mexique, Pérou, Equateur, Brésil sont moyennement inégalitaires.
Les autres forment la partie la plus pauvre et inégalitaire, marquée par un métissage et une forte population
indienne. A cela s’ajoutent des inégalités socio-spatiales surtout entre les villes et les campagnes. Ainsi 50% de
la population rurale vit sous le seuil de pauvreté.
2. Les inégalités au cœ ur du développem ent : freins hum ains et sociaux.
D’abord se pose la question indienne. L’“indianité” est difficile à définir car les sociétés latino-américaines sont largement
métissées. Elles représentent environ 10% de la population latino-américaine (plus de 50% de la population au Guatemala,
en Bolivie, ou au Pérou). L’indianité est souvent synonym e de pauvreté (80% des indigènes guatémaltèques,
contre 50% de la population globale), d’où les migrations accrues des populations vers les villes et l’étranger, et d’une
faible représentativité politique (11% des sièges parlementaires équatoriens contre 43% de la population). Des
revendications indiennes et mouvements indianistes émergent à partir des années 1970 (“réveil indien”). Le Mexique est
partagé sur cette question, entre création de l’Institut National des Affaires Indigènes, et tensions (guérilla du Chiapas
en 1974, soulèvement de l’AZLN en 1994, marches sur Mexico en 2001 et 2010). Les indigènes accèdent au pouvoir en
Bolivie avec Evo M orales en 2005 qui fait de la Bolivie un « Etat pluri-national ». En Colombie, l’Etat reconnait
depuis 1991 la diversité ethnique et culturelle de la nation.
Ensuite se pose la question de la terre. Le territoire est im m ense m ais les terres viennent à m anquer, ce qui
provoque des tension s. La structure foncière est inégalitaire avec à la fois des ultra-riches et des pauvres. D’immenses
propriétés (latifundias) se caractérisent par un gaspillage des terres et un mode d’exploitation extensif. Elles sont le
résultat de la captation des terres par les colonisateurs (haciendas au Mexique, estancias en Argentine, fazendas au
Brésil). Si leurs propriétaires exercent toujours une domination politico-sociale, elles sont une voie de modernisation et
d’ouverture à la mondialisation. De l’autre côté, les minifundias sont des micro-propriétés trop petites pour permettre
de faire vivre une famille. Ce système agricole dual pose problème (mouvement des Sans terres au Brésil). De nombreux
paysans sans terre deviennent des travailleurs saisonniers (les Boyaboya au Brésil). Le problèm e per siste : au B résil,
1% de la population détient 53% des terres.
Les réformes agraires sont une révolution sociale et politique. Elles perm ettent de ralen tir l’exode rural et donc
de contrôler la croissance urbaine , de casser la féodalité et le clientélisme et donc d’asseoir la démocratie, et de
calmer les agitations populaires.
En effet, la terre et les in égalités dans son partage nourrissent la volonté révolutionnaire . La révolution
mexicaine de 1910 (rejointe par Zapata) promet des réformes pour “rendre la terre à ceux qui travaillent” : la question
agraire est l'une des principales sources de mécontentement qui menèrent à la révolution et spécialement à l'origine du
mouvement zapatiste. Zapata lutte pour la restitution des terres accaparées par les grands propriétaires en vertu de la
politique agraire du régime. Au final, les propriétés (en 1910, 8 000 propriétaires se partagent 90% des terres,
500 000 le reste) sont limitées et les ejidos (propriétés collectives) développés via des plans d’attribution de terres ;
l’idéologie révolutionnaire demeure jusqu’à l’entrée dans l’ALENA.
L’accès à la terre est aussi compliqué en Amérique du Sud, ce qui provoque des réformes semblables (réformes agraires
au Guatemala et en Bolivie dans les années 1950, réforme agraire à dominance étatique à Cuba en 1959, encouragée par
l’“Alliance pour le progrès” de K ennedy — pour encourager les économies mais aussi pour contrôler les passions
révolutionnaires). Les réformes ne sont pas toujours menées à bien. Au Paraguay, 1% de la population contrôle 77% des
terres en 1991.
3. U ne violence m ultiform e pour résultat.
L’A m érique latine est la région la plus violente du m onde . 12 des 20 pays et 41/50 des villes les plus dangereux
du monde s’y trouvent en 2013 (San Pedro Sula au Honduras à 169 meurtres/100 000 résidents, Caracas à 120, Rio à
50, alors que le taux est 0,7 en France). La violence est originelle du fait des conquêtes, puis des tensions ethniques,
foncières, sociales et économiques, auxquels se sont ajoutés au XXème siècle un terrorisme étatique, le développement
de guérillas, des mafias liées au narcotrafic et des gangs urbains comme les maras, qui créent parfois des Etats dans les
Etats.
⎯ Les cartels de la drogue en C olom bie et au M exique : trafic et narco-politique.