Le poème Le Mal est extrait des Cahiers de Douai, un recueil de jeunesse d'Arthur Rimbaud écrit en 1870, dans
lequel il propose une vision poétique provocatrice, iconoclaste et sensorielle. Ce poème est un sonnet dont le
titre Le Mal est allégorique. Il traite de la folie de la guerre mais également de l'hypocrisie de la religion qui pour
lui sont les deux faces du mal social, c'est à dire la domination des puissants qui sacrifient le peuple à des
caprices. Il s'agit donc d'un poème de révolte et de dénonciation.
Ainsi, nous pouvons nous demander : Comment le poète parvient-il à susciter l'indignation chez son
lecteur et à dénoncer “le mal” qui corrompt la société ?
Ce sonnet présente une opposition classique entre les quatrains et les tercets. Dans un premier temps nous
analyserons alors l’exposition de l’horreur et de l’absurdité de la guerre, développée dans les deux quatrains,
puis nous étudierons le tableau dénonciateur d’une église impitoyable et cupide, dépeint dans les deux
tercets.
I. Dénonciation de l'horreur et de l'absurdité de la guerre
Le poème s’ouvre sur une dénonciation immédiate de la guerre, rendue explicite dès le vers 1 grâce au
subordonnant “tandis que”. Associé au présent “sifflent” et au complément de temps “tout le jour”, il marque
l’idée d’une violence ininterrompue illustrée par l’expression “les crachats rouges de la mitraille”.
Le terme “crachats”, péjoratif et répugnant, traduit la laideur esthétique et morale de ces tirs qui souillent le
paysage. La couleur rouge, sanglante, déchire “l’infini du ciel bleu”, établissant une opposition saisissante
entre la beauté immaculée de la nature et la brutalité de la guerre. Cette juxtaposition renforce l’absurdité du
conflit, déjà clairement dénoncée en seulement deux vers.
La phrase se poursuit au vers 3, présentant pêle-mêle les deux armées qui s'affrontent : “Qu'écarlates ou verts
/ Croulent les bataillions”, suggérant un tableau qui représenterait la scène de loin. Les uniformes écarlates
des soldats Français et les tenues vertes des Prussiens se confondent dans une masse indistincte, qui finit par
“s’effondrer dans le feu”.
Le choix du présent “croulent” souligne la répétition inexorable de ce massacre, auquel nul ne met fin. Au
contraire, les monarques n’accordent aucune valeur à la vie de leurs soldats comme le montre l’expression
“près du Roi qui les raille”. Le singulier “Roi”, avec une majuscule, revêt une portée universelle, désignant tout
souverain, qu’il soit français ou prussien. L’indifférence cynique des dirigeants est mise en évidence par le
verbe “railler”, dont la rime avec “mitraille” associe l’ironie cruelle des rois à la violence meurtrière de la
guerre.
La proposition circonstancielle de temps se poursuit, avec le subordonnant “tandis que”. On franchit
cependant un nouveau degré dans l’horreur : les corps broyés sont réduits à “un tas fumant”. L’idée de “folie
épouvantable”, attribuée aux “Rois”, souligne l’absurdité des ambitions meurtrières qui anéantissent des
“cent milliers d’hommes”. La juxtaposition du pluriel “cent milliers” et du singulier “un tas fumant” exprime la
déshumanisation des victimes, désormais réduites à une masse informe.
Au vers 7, l’intervention directe du poète se fait alors soudainement entendre, marquée par le tiret et
l’exclamation “Pauvres morts !”. Ce cri de révolte et de compassion tranche avec le ton descriptif précédent.
Rimbaud interpelle ensuite la “Nature”, personnifiée et glorifiée : “Ô toi qui fis ces hommes saintement !...”.
Cette invocation à une divinité païenne féminine, mise en opposition avec le Dieu chrétien, annonce la critique
religieuse des tercets.
II. Dénonciation d'une Eglise impitoyable et cupide