SEANCE 1 :
CHAPITRE 1 : LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE DES
PERSONNES PHYSIQUES
La personne, au sens juridique, est un sujet de droits et d’obligations. La personnalité juridique est
l’aptitude à en être titulaire. Seules les personnes physiques (êtres humains) et personnes
morales (groupements ou masses de biens autonomes) ont cette capacité.
La personnalité juridique permet d’exercer des droits subjectifs (ex. devenir propriétaire, réparer un
dommage).
Tout être humain né vivant et viable est une personne juridique. Cette situation est cependant le fruit
d’une évolution historique.
L’évolution de la personnalité juridique
Historiquement, tous les humains n’étaient pas reconnus comme personnes juridiques :
Esclaves : exclus de la personnalité.
Sous l’autorité paternelle : les individus libres sous autorité du pater familias avaient une
personnalité patrimoniale réduite.
Étrangers : privés de droits mais protégés progressivement pour raisons commerciales.
Évolutions notables :
1848 : abolition de l’esclavage en France.
1819 : suppression du droit d’aubaine (permettant à l’État de saisir les biens d’un étranger).
1854 : suppression de la mort civile (les condamnés à perpétuité perdaient la personnalité
juridique).
→ Aujourd’hui, tout individu né vivant et viable a la personnalité juridique, indépendamment de son âge,
état de conscience ou capacités (cf. incapacités dans un autre cours).
Les conditions de la personnalité juridique
Elle couvre la durée de la vie humaine. Deux moments essentiels :
§1. Le commencement – §2. La fin
§1. Le commencement de la personnalité
A) La naissance
La naissance est nécessaire mais non suffisante. Il faut naître vivant et viable :
, Vivacité : avoir respiré (preuve par présence d’air dans les poumons).
Viabilité : constitution physique permettant la vie (organes fonctionnels et développement
suffisant).
Textes de référence :
Art. 318 C. civ. : pas d’action en filiation sans viabilité.
Art. 725 C. civ. : il faut exister (ou avoir été conçu et naître viable) pour succéder.
Art. 906 al. 3 C. civ. : donation ou testament sans effet si enfant non viable.
La circulaire du 22 juillet 1993 (non contraignante) préconise comme critères :
22 semaines d’aménorrhée ou
poids de 500g (critères OMS, 1977)
Mais ils n’ont jamais été repris par la loi, laissant au médecin une marge d’appréciation au cas par cas.
→ Acquisition de la personnalité dès la naissance (vivant + viable)
Remarque : la naissance ne peut être source de préjudice
→ Art. L.114-5 CASF (loi du 4 mars 2002) : interdit d’agir en réparation du fait même d’être né, en réaction
à l’arrêt Perruche (Cass. Ass. Plén., 17 nov. 2000).
L’enfant, handicapé à cause d’une rubéole non détectée, avait obtenu réparation.
Réaction sociétale importante : la jurisprudence semblait affirmer qu’il eût mieux valu ne pas
naître.
Formalités de la naissance :
Déclaration sous 5 jours (art. 55 C. civ.) – loi du 18 nov. 2016.
Déclarant : père, ou à défaut médecins/sages-femmes/personnes ayant assisté à l’accouchement
(art. 56).
L’enfant reçoit un nom, prénom, figure sur le livret de famille et peut succéder, même s’il meurt
peu après.
Cas particuliers :
Si l’enfant meurt après naissance (vivant et viable) mais avant déclaration : deux actes établis
(naissance et décès) → art. 79-1 al.1er C. civ.
Si l’enfant est mort-né ou né vivant mais non viable → pas d’acte de naissance, mais possible acte
d’enfant sans vie.
Cet acte d’enfant sans vie ne confère pas la personnalité juridique, mais permet :
attribution d’un prénom,
mention dans le livret de famille,
organisation des obsèques,
obtention de droits sociaux (congés, indemnités).
Précisions jurisprudentielles et réglementaires :
Cass. civ. 1ère, 6 févr. 2008 : tout fœtus né sans vie peut faire l’objet d’un acte, quel que soit le
poids ou le terme.
, Décret du 20 août 2008 : acte conditionné à la présentation d’un certificat médical
d’accouchement.
Circulaire du 19 juin 2009 :
o Le certificat suppose l’existence d’un corps formé et sexué.
o Les interruptions précoces de grossesse (< 15 semaines d’aménorrhée) ne permettent pas
cet acte.
Actualité législative : Loi n°2021-1576 du 6 décembre 2021
Modifie l’article 79-1 al. 2 C. civ.
Désormais, les parents peuvent attribuer un nom (en plus du prénom) à l’enfant sans vie. Le nom peut
être :
celui du père,
de la mère,
ou leurs deux noms accolés (un nom maximum par parent).
⚠️ Cela n’a pas d’effet juridique et ne préjuge pas du fait que l’enfant ait vécu ou non.
Tout intéressé peut saisir le tribunal judiciaire pour trancher.
➤ Cette réforme renforce la reconnaissance symbolique et sociale des enfants sans vie mais n’accorde
pas la personnalité juridique.
B) La portée rétroactive de la personnalité : l’adage infans conceptus
Principe :
L’adage latin « Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur » signifie qu’un enfant
simplement conçu est réputé né dès lors que cela est dans son intérêt, à condition qu’il naisse vivant et
viable.
Conséquences :
L’enfant conçu peut hériter ou recevoir une donation.
Il peut agir en justice pour un dommage subi in utero.
Cette règle n’est pas générale dans le Code civil, mais figure dans :
o Article 725, al. 1er : succession
o Article 906 : donation et testament
o Article L.132-8 du Code des assurances : assurance-vie
Présomption de conception :
Fixée par l’article 311 al. 1er du Code civil : entre le 300e et le 180e jour avant la naissance.
Cette période est modulable selon l’intérêt de l’enfant.
La preuve contraire est possible.
Jurisprudence :
Application élargie en dehors des successions/donations :
o Rente pour l’enfant d’un ouvrier décédé (Civ., 24 avril 1929)
o Capital-décès majoré (Cass. 1re civ., 10 déc. 1985)
o Réparation d’un dommage anténatal (ex. décès du père avant naissance – Cass. 2e civ., 14
déc. 2017 ; viol – Cass. Crim., 23 sept. 2010)
o Préjudice moral pour décès d’un grand-père avant naissance (Cass. 2e civ., 11 fév. 2021)
, Conditions cumulatives pour appliquer l’adage :
1. Intérêt de l’enfant
2. Naissance vivante et viable
C) Quid du statut de l’être humain avant sa naissance ?
Terminologie :
Embryon : jusqu’à 8 semaines
Fœtus : de 8 semaines jusqu’à la naissance
Statut juridique :
L’embryon et le fœtus ne sont pas des personnes juridiques, donc assimilés à des
choses (catégorie résiduelle en droit).
Cette qualification exclut, par exemple, la qualification d’homicide en cas de mort d’un fœtus (Cass.
Ass. Plén., 29 juin 2001).
Controverse éthique et juridique :
Comité consultatif national d’éthique (1984) : l’embryon est une « personne humaine potentielle
».
Conseil d’État (2009) : reconnaissance d’une dignité propre, sans personnalité juridique.
Distinction importante :
1. Embryon in utero :
o Pas de personnalité autonome : protégé indirectement via la protection de la femme
enceinte (recherche, IVG, interruption imposée de grossesse).
2. Embryon in vitro :
o Protection spécifique :
Création uniquement dans le cadre de l’AMP (Assistance Médicale à la Procréation)
Recherche autorisée sous conditions strictes (loi du 6 août 2013)
§2 – La fin de la personnalité juridique
La personnalité juridique des personnes physiques prend fin au moment du décès. Autrefois, il existait
une mort civile(fiction juridique), aujourd’hui seule la mort biologique met fin à cette personnalité (A).
Dans certains cas cependant, la mort n’est pas certaine : on parle alors de mort incertaine (B).
A) La mort biologique
1° Définition juridique de la mort
La médecine moderne rend difficile la détermination du moment exact du décès.
La définition juridique découle du besoin d'encadrer les prélèvements d'organes : mort cérébrale.
Art. R. 1232-1 CSP : trois critères cumulatifs si arrêt cardio-respiratoire persistant :
1. Absence de conscience et d’activité motrice spontanée,
2. Abolition des réflexes du tronc cérébral,
3. Absence de ventilation spontanée.