Les Misérables, I, VI, 2 : « Un physionomiste […] courageux »
Mise en contexte : Ce passage est situé dans le deuxième chapitre du sixième livre, un livre
assez court intitulé « Javert ». Le personnage de Javert est déjà bien connu du lecteur, grâce à une
longue digression qui a présenté sa physionomie, son caractère et sa vie ; et qui forme l'essentiel du
cinquième chapitre du livre précédent, « La descente ». Ses soupçons sur l'identité réelle de M.
Madeleine ont été entérinés par la confrontation des deux antagonistes lors de l'arrestation de
Fantine, et Javert l'a dénoncé à la police comme étant Jean Valjean. Néanmoins, l’apparition d'un
autre Jean Valjean (que le lecteur sait être un « faux ») vient bouleverser sa conviction. Il est
conduit, par l'application stricte de ses deux principes – le respect de l'autorité et la haine de la
rébellion – à se dénoncer lui-même, et vient demander à Valjean de le punir.
Composition : Le texte est composé d'un unique paragraphe, qui vient s'insérer dans la scène
sans en influer le déroulement : il pourrait être retiré sans perturber l'action du roman. Sa fonction
est donc double. D'un part, il ajoute un niveau de profondeur supplémentaire sur la simple trame
romanesque, ce qui s'inscrit dans le projet de synthèse de Hugo en intégrant le roman psychologique
dans le roman « populaire ». D'autre part, il crée un effet de « retardement », puisque le lecteur ne
sait pas encore que Javert vient pour se dénoncer, et non pour arrêter Valjean.
Le texte commence par un discours général au conditionnel : le narrateur fait appel à une
figure de physionomiste qui serait familière avec le personnage de Javert. Ce discours s'étend sur les
deux première phrases, et inclus deux caractérisations de Javert faites en réalité par le narrateur : la
première est une juxtaposition de métaphores (« ce sauvage […] mouchard vierge »), la seconde
décrit sa conscience par une accumulation d'adjectifs (« droite, […] féroce »). Dans les trois phrases
suivantes, le narrateur abandonne le relais du « physionomiste » pour énoncer directement un
discours général sur Javert. Puis il revient au récit, en opérant un léger retour en arrière par rapport à
l'action afin de décrire en détail l'attitude de Javert lors de son entrée, et finit par rejoindre le point
du récit où il s'était arrêté.
On observe donc que le narrateur n'explicite pas directement l'intériorité du personnage, mais
passe par sa « physionomie » (au sens du XIXe siècle, c'est-à-dire l'étude des traits de caractère d'un
individu grâce à ses caractéristiques physiques, ses expressions et son attitude générale). Cela
permet d'intégrer ce développement dans la trame romanesque, et de garder une « part d'ombre » sur
ce personnage littéralement « surhumain », au sens où ses traits de caractères sont poussés jusqu'à
des extrêmes impossibles.
Problématique : L'intégration d'une analyse psychologique dans la trame romanesque, qui
permet d'éclairer l'intériorité d'un personnage « inhumain ».
Axes de lecture : L'incorporation de l'analyse psychologique dans le cadre du récit ; Le
dévoilement de l'intériorité par les signes extérieurs ; Les limites de l'analyse d'un « surhomme ».
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